Quelle magnifique réussite… Leurs rillettes de canard onctueuses sont à moins de 5 euros. Le célèbre (succès justifié) flan Savary de Beauvais à 3 euros. Qui a dit que c’était une boutique chère ? Les rillettes de canard de la Ferme de Brougnon au piment du Béarn fumé au bois de figuier sont à moins de 7 euros (il me semble). Ces rillettes s’intitulent Désir, comme le film avec Marlene Dietrich et Gary Cooper.
C’est juste la plus belle adresse du quartier, inventive, insolite sans insolence, inattendue. Comme chaque parisien pressé, habitué à exaucer ses vœux en un seul clic nerveux, on peut d’abord être intrigué par la vitrine. On peut ne pas oser entrer. On voit des bocaux étincelants. On aperçoit de grosses armoires d’antan remplies de pots de confiture aux formes aussi travaillées que des parfums Haute couture. Dans un coin près d’un austère rideau noir se niche une gamme de liqueur artisanale La Reine des Vertes dans des fioles adorables. (J’ai acheté celle à la poire, voluptueuse en diable, et je l’ai sifflée au terme d’un repas arrosé de leur merlot bu sur un sublime effilé de canard – du cou de canard- mélangé à une pomme de terre écrasée).
C’est un temple, qui ne se livre pas à la première lecture (il y a aussi un assez important rayon produits de la mer), à la première intrusion. Bien sûr, on peut entrer acheter en 4ème vitesse une tablette de chocolat artisanal Encuentro bio à moins de cinq euros (fèves triées à la main, torréfiées au four de boulanger), s’offrir un porc au curry à moins de dix euros, ou une superbe blanquette de veau de lait sous la mère (moins de 20 euros), prendre au passage quelques-unes de leurs pommes qui ont l’air échappées d’une nature morte de Cézanne, sélectionner une poignée de noix de cajou. Mais l’ensemble s’appréhende lentement, au gré de ses flâneries. On n’y revient pas sans émotion, avec une espèce de respect.
Au rayon des réussites exceptionnelles, on rangera leur mille-feuille d’agrumes, les Pickles en marinade aigre-douce d’Alsace, la compotée d’oignons de Roscoff (avec un peu de graisse de canard) et la courgette trompette à l’huile. Il est impossible d’énumérer toutes les merveilles de cette taverne d’Ali Baba.
Orgasme culinaire garanti avec le saucisson corse, transcendantal, qui sent la grange, la bête, la montagne, le feu de bois, (et, tout à côté de lui, le saucisson maigre au vin cahors). Même effet avec les tranches de porc nustrale de Vincensini (le porc nustrale s’épanouit en liberté, en été sur les pâturages de montagne et il se goinfre de glands et de châtaignes en automne et en hiver). On apprend des tas de choses dans cette boutique. Il y a souvent une profondeur narrative dans certaines de leurs créations, qui n’a pas seulement à voir avec le meilleur des produits du terroir, avec l’épaisseur de la terre, mais aussi avec le parcours de ceux qui la travaillent et en ont extrait le meilleur. C’est du récit et de la géographie.
Des banquettes bariolées sont là pour vous prévenir que vous pouvez vous poser et goûter, voire vous restaurer, alors qu’au fond de la boutique se prépare un coin dégustation d’huîtres.
A ce degré d’adéquation entre le fond et la forme, ça n’est plus de l’alimentation, c’est de l’art. C’est le luxe sans l’arrogante intimidation du luxe.
En ce moment, avec Noël, ce havre de paix et de tact est l’unique boutique du quartier qui fasse vraiment l’effort de rendre l’aspect enveloppant de Santa Claus, avec un sens du détail touchant (une boîte aux lettres rouge, une certaine façon d’accrocher les décorations au plafond). Chaque objet est vecteur d’émotion, une émotion discrète, jamais ostentatoire. Il faut être réceptif aux atmosphères . Celle de décembre, surtout en fin d’après-midi, à la lumière artificielle, rappelle Lubitsch. Le Lubitsch de The Shop Around the Corner. Et aussi le Frank Capra de 1946, avec La Vie est belle, chef-d’œuvre éternel sur Noël. Comme dans ces deux films magiques, il règne dans la boutique de Monsieur Appert un inaltérable climat de douceur et de bienveillance.
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